Cet été, Nos séjours heureux vous emmènent à Evasoleil, une association d'éducation populaire qui opère depuis près de quinze ans dans le pays médocain. Pour le deuxième volet de la série Evasoleil, nous avons interrogé Sylvain Stienon, fondateur de l'association. Insatisfait des modèles « coloniaux » classiques, l'animateur a créé son propre organisme en 2009, dont le projet pédagogique se base sur les projets de jeunes, la concertation, la mixité sociale, ou encore l'individualisation.
Par M.V. Publié le 6 août 2024. Temps de lecture : 8 minutes
Sylvain, pouvez-vous revenir sur les origines d'Evasoleil, qui a créé cette association et pourquoi ?
Sylvain Stienon : « On était quelques amis, collègues, qui travaillaient en centre de loisirs. L'été et les vacances scolaires, on partait faire des colos ensemble. On n'était jamais vraiment satisfaits des moyens qu'on nous donnait pour pouvoir monter des projets intéressants. Et puis ça nous emmerdait un petit peu de travailler pour des associations qui s'en fichaient un petit peu, qui ne nous demandaient même pas le bilan de ce qu'on avait fait alors qu'on s'était vraiment impliqué dans certains séjours. On s'est dit alors : "pourquoi on essayerait pas de créer notre propre organisme ?" il n'y avait pas d'ambition d'en faire quelque chose de très durable. On s'est lancé comme ça, sur une idée sans trop réfléchir. »
Comment s'est concrétisée la création ? Et quels ont été les piliers du projet pédagogique ?
« On avait déjà une façon de travailler quand on a créé Evasoleil. On avait déjà tous pas mal d'expérience dans l'animation que ça soit en centre de loisirs ou colonies de vacances, et on travaillait déjà ensemble. Je travaillais depuis longtemps sur des projets d'enfants et projets de jeunes. J'avais tenté plein d'expérimentations de concertation de jeunes, de thématiques. Naturellement, quand on a commencé à créer Evasoleil, on n'a pas changé du tout de projet. On s'est dit juste qu'on allait le faire pleinement.
Par contre ce qui a changé, c'est qu'on s'est dit qu'on va capitaliser tout ce qui fonctionne pour pas recommencer tout à 0 à chaque fois. Ce qu'on reprochait aux colonies classiques, c'est qu'on fait reset, on change d'équipes... Et même, tous les organisateurs qui proposent tous les ans les mêmes colos, comme ils changent d'équipes, n'essayent pas de capitaliser sur ce qui a été réussi pédagogiquement pour essayer d'avancer. Y a pas de progression. Alors que nous, comme on venait des centres de loisirs, y a un peu plus la culture de former les équipes et d'avancer peu à peu années après années. On a mixé un peu ces deux univers. »
Ça ressemblait à quoi le premier été d'Evasoleil ?
« C'était assez proche de ce qu'il y a là. C'est à dire projets de jeunes, programme fait par les jeunes, c'était pas encore les assemblées - les noms ont changé - mais y avait des concertations de jeunes où on discutait avec eux. On essayait de construire les règles de vie avec eux. C'était assez proche de ce qu'il y a ici. C'était moins organisé. C'était un peu plus tout le monde est en capacité de tout faire dans l'équipe. Y avait pas de rôles détachés. Y avait pas cette notion de village. Y avait pas autant de formations des équipes d'animation. On se connaissait il y avait moins besoin de recruter sur l'extérieur. En gros, c'était la partie “accueil collectif de mineurs (ACM)” et pédagogique n'a pas vraiment évolué. »
Quels étaient les piliers principaux ?
« On les a nommés différemment pendant les quinze ans d'Evasoleil, mais ça a toujours été les points d'entrées du projet pédagogique : le vivre-ensemble, la mixité sociale, la participation des jeunes et leur donner le pouvoir sur pratiquement toutes les décisions qu'il est possible de leur donner, et puis l'individualisation. »
Vous disiez qu'au début ce n'était pas très bien organisé, pourtant, mettre en place ce projet demande de l'organisation pour qu'il s'opère ?
« Pas forcément. Aujourd'hui, oui, mais pas forcément. L'individualisation, c'était une question qui était beaucoup plus présente à l'époque dans l'ADN des animateurs traditionnels. Nous, on était des animateurs professionnels, on avait l'habitude d'accueillir des jeunes en difficulté, avec des fragilités. On avait l'habitude d'individualiser les accueils, c'était quelque chose qui ne demandait pas forcément de protocole.
Dans mon réseau, on était issus de l'éducation spécialisée : soit éduc' spé', soit animateur socio'. Pour nous, ça ne demandait aucun travail, c'était normal. La mixité sociale, y avait pas le choix : on accueillait des enfants qui étaient vraiment différents avec des enfants vraiment en situation d'échec en milieu professionnel. Les premiers qui nous ont fait confiance à Evasoleil, ce sont les foyers. Ils trouvaient notre projet intéressant. Ils savaient que si leur gamin avait une chance de rester plus de deux jours dans une colo, c'était dans une colo comme la nôtre. La mixité sociale s'est imposée à nous, c'est elle qui a emmené les autres piliers. Ça n'a pas été “protocolisé” (sic) dès le début. »
| « La limite, c'est la limite des humains qui constituent l'équipe : la sensibilité des uns et des autres, la charge émotionnelle de chacun. Parfois c'est trop et ça peut renvoyer à certains une certaine fragilité. »
Vous avez tout de suite senti que ce projet convenait aux enfants des foyers ou de l'ASE (Aide sociale à l'enfance) ?
« Pour moi, on ne peut pas faire autrement pour accueillir ces publics. Quand j'ai passé mon brevet d'animation sociale en 2004, on nous apprenait à travailler comme ça. Mes formateurs disaient qu'on n'allait pas trop avoir le choix avec le public sinon il ne va pas nous répondre. Quel que soit le public (carcéral, autistes...) C'est une méthode, mais il n'y a pas eu de volonté de faire de la pédagogie alternative ou je ne sais quoi. »
Y a-t-il des limites à ce projet, ne marche-t-il pas avec certains enfants ? Comment les prendre en compte et faire évoluer le projet ?
« La limite, c'est la limite des humains qui constituent l'équipe : la sensibilité des uns et des autres, la charge émotionnelle de chacun. Parfois, c'est trop et ça peut renvoyer à certains une certaine fragilité. On essaye de mettre le plus possible en réussite en essayant d'avoir des billes pour accueillir l'enfant, ne pas mettre trop d'enfants sur le même groupe d'âge qui peuvent poser des problèmes dans un collectif, parce que le collectif pèse trop, etc. Mais c'est plus l'équipe d'animation qui est en charge de supporter l'individualisation.
Ça dépend aussi des efforts que peut faire le jeune : il y en a qui peuvent très bien arriver la première semaine et pas la deuxième. Y a pas de limites connues avant. Globalement, c'est rare de renvoyer un jeune. On essaye, dans le projet, de trouver des échappatoires pour que le jeune puisse quitter le groupe sans gêner.
Après oui, on réfléchit à faire évoluer le projet par rapport au bilan des uns et des autres, on analyse sans arrêt notre projet, on regarde comment on pourrait faire mieux. Parfois y a des idées qui sont tentées et qui marchent, et qu'on va garder. Après, ça dépend vachement des équipes, il y a jamais de vérité universelle qui marche pour tout. »
Par qui est modifié le projet ? Sachant que vous êtes là depuis le début, comment se placer laisser la place aux autres de l'amender ?
« C'est simple : moi, je suis juste le témoin de plus de séjours possibles. J'ai vu beaucoup de situations. Ce n'est pas moi qui mettait en place seul les décisions d'amélioration du séjour, c'est collectivement qu'on le faisait. Par contre, c'est moi qui disais : "ah, tel animateur a vu ça, ça peut être intéressant qu'on y réfléchisse".
Mais je n'ai jamais pris les décisions tout seul. J'ai conscience que j'ai un regard, même en tant que directeur, qui n'est pas à 360. Personne ne l'a : les animateurs auront un regard, les jeunes aussi. C'est bien ce croisement des regards qui peut amener des améliorations. Par exemple, il y a deux semaines, on a reçu un mail d'une maman d'un jeune qui nous a fait un retour : "c'est super ce que vous avez fait, par contre y a tel ou tel point je pense que vous devriez y réfléchir". On a pris ça au sérieux et on a changé ça... »
| « Est-ce qu'[Evasoleil] cela va à l'encontre des autres colos ? Oui. Je peux le dire en toute connaissance de cause car je connais ce milieu, j'y travaille depuis quasiment 30 ans maintenant. On n'a pas la même méthode que 99% des colos et des centres de loisirs qui existent aujourd'hui. »
C'était quoi comme point ?
« La gestion des portables dans les chambres chez les 11-14. Y a aussi la société qui évolue et donc des choses qui nous rattrapent. On n'est pas forcément les premiers à voir qu'il faut agir sur tel ou tel sujet. Des exemples comme ça, il y en a pleins. »
Est-ce que selon vous, la façon dont vous organisez ces séjours va à contre-courant des autres colos ? Les colos doivent -être des “lieux de résistance” pour citer Jean-Marie Bataille ?
« Quelque part oui, mais ce n'est pas une volonté de départ. Est-ce que cela va à l'encontre des autres colos ? Oui. Je peux le dire en toute connaissance de cause car je connais ce milieu. J'y travaille depuis quasiment 30 ans maintenant. On n'a pas la même méthode que 99% des colos et des centres de loisirs qui existent aujourd'hui. Ça va même à l'encontre de la formation professionnelle des animateurs aujourd'hui qui travaillent sur une pédagogie par objectifs. C'est-à-dire que tu vas à partir d'un diagnostic construire un objectif entre adultes, puis construire une démarche pédagogique entre adultes, sans avoir vu les enfants. On va à contre-courant. On est obligé de déconstruire ce que certains animateurs ont vu en formation.
Après ce que dit Jean-Marie Bataille sur la résistance, oui en quelque sorte. Il y a une notion de micro-société dans une colonie comme celle-ci. Et donc d'organisation sociale alternative à ce qui existe déjà. C'est-à-dire qu'il y a un modèle prédominant dans les colonies de vacances qui est hiérarchique, très administratif, les adultes décident pour les enfants, parce qu'ils connaissent les besoins. Ce sont eux qui ont le monopole des décisions, des activités et des règles.
C'est quelque chose qui est culturellement normal en France. On le voit dans tout le jeu institutionnel, comme les subventions et les appels à projet, qui sont liés à des objectifs décidés entre adultes. Nous, on a décidé de ne pas toucher de subventions pour avoir un fonctionnement libre. »