Depuis plus de 40 ans, la Maison de Courcelles, basée
à Saint-Loup-sur-Aujon (Haute-Marne), s'inspire
des pédagogies Montessori et Freinet pour ses colonies
de vacances. Un projet qu'elle fait progresser
d'années en années. Avec comme fil conducteur : la liberté
de choix et la liberté de circulation.
Par M.V. - publié le 27 février 2024.
Temps de lecture : 5 minutes.
Saint-Loup-sur-Aujon (Haute-Marne).
21 février, première semaine des vacances pour les enfants de la zone A. Au cœur Parc national de forêts, les champs de colza, de blé et d'orge sont endormis, et un léger froid guette Saint-Loup-sur-Aujon, un minuscule village de 140 habitants. Les rues sont vides, sûrement que les agriculteurs sont aux champs. À deux ou six pas de l'église Saint-Loup, un couvent du début du XIXe siècle, autrefois orphelinat, abrite une maison d'animation qui fait vivre une région par ses colonies de vacances, ses classes vertes mais aussi grâce à une cuisine centrale qui nourrit quatre écoles des alentours : La Maison de Courcelles.
« Y pas d’enfants qui ne font rien »
En ce 21 février, ça se ressent. Rien n’était prévu lorsque la douzaine d’enfants en vacances se sont levés de leurs lits. Un groupe prend alors l’initiative de créer, répéter et conduire un spectacle dans la journée. Un autre décide de faire un repas trappeur, dehors, malgré les températures tout juste positives. Tamara, l’animatrice déguisée en troubadour, qui profite de sa journée de repos, ne se voit pas quitter Courcelles. Une expérience en centre de loisirs l’a désolée : « Y avait un thème sur toute la semaine. Activités manuelles le matin et grands jeux l’aprèm. Mais les enfants n’avaient pas du tout envie de faire ça. Leur moment préféré, c’était la récré après manger. »
Soline et Adèle, entre deux cuillerées de spaghettis bolo’, reviennent également sur leur engagement. La première a « tapé “colonies de vacances alternatives Montessori” sur Internet », a traversé la diagonale du vide depuis Toulouse pour rejoindre la Haute-Marne, puis « n’a travaillé qu’ici ». « Ce qui me plaît le plus, c’est la liberté qu’ils ont. » Elle jette un coup d’œil sur les quelques minots qui s’aventurent près de la lisière, puis revient à l’échange, vantant des vacances sur mesure. « T’as l’impression que les deux enfants n’ont pas vécu la même colo. Ils ont vécu un séjour qui leur ressemble. » La seconde animatrice, Adèle, connaît plus que quiconque la Maison, car elle les a faites les colos, en tant qu’enfant. Elle prône le rythme de la colo, plus adapté : « Y a pas d’enfants qui ne font rien. Le fait qu’un enfant s’ennuie, c’est aussi un moteur pour qu’il apprenne quelque chose. »
Montesso-qui ?
Lors des conseils de maison, réunis plusieurs fois par an, tous les animateurs – à condition qu’ils aient pris part à au moins une colonie dans l’année – peuvent faire évoluer la pratique. « La pédagogie est fixée mais on reste un lieu d’expérimentations », considère Louis Létoré, le directeur. Pour le garant de l’institution, « choisir de les rendre acteurs, c’est un acte politique majeur. C’est-à-dire que l’on considère l’enfant comme une personne d’égal à égal. » Le projet refuse le « tout activité », le consumérisme, les séjours à thèmes, et la verticalité scolaire, où l’adulte rythme le tempo. En ce sens, Maria Montessori est régulièrement conviée à la table des débats, même si Louis Létoré précise : la colo ne fait que « s’en inspirer ». Quelques différences par rapport à la pédagogie prônée par Tous.tes en colo (lire le reportage ici), certes subtiles, sont à remarquer. Par exemple, aucune assemblée journalière n'est organisée.
| « Quand ils vont rentrer à la maison, je rassure,
ils se souviendront des règles. » Louis Létoré
L’Italienne, née en 1870, devenue l’une des premières médecins de son pays. « Avant d’être pédagogue, elle s’occupait des enfants déficients qui étaient placés dans des hospices avec les adultes. Elle s’est rendu compte que ce n’était pas leur place », rappelle Louis Létoré. Par la suite, elle développe une pédagogie basée sur l’autodiscipline, la liberté et l'observation de l'enfant par l’adulte, qui offre à l’enfant l’outillage nécessaire à son apprentissage. « C'est très compliqué, ça veut dire que ça demande une expertise qui s'acquiert avec l'expérience (…) Montessori le dit : ça met les adultes dans une position très inconfortable », explique le directeur. Une méthode qui s’applique à la Maison de Courcelles. « C’est pas l’adulte qui vient calquer un projet sur le projet des enfants. Donc c’est un vrai travail de pédagogie de rencontre avec l’enfant pour prendre le temps. On en revient à la position inconfortable. »
Une pédagogie où l’enfant jouit d’une très grande liberté… cela peut-il les frustrer en rentrant à la maison, où les parents peuvent imposer un cadre plus strict ? « Quand ils viennent à la maison de campagne, ils connaissent les règles de la maison. Quand ils vont à l’école, ils connaissent les règles de l’école. Quand ils vont chez les grands-parents… On n’a pas déstructuré, on les a acquis dans un cadre bien défini. Quand ils vont rentrer chez les parents, je rassure, ils se souviendront des règles. » Et, probablement, pour longtemps de leurs vacances, où ils ont été à un moment donné maître de leur temps.