Du 21 au 28 octobre, dans le Jura, l’association parisienne “Toustes en Colo” accueillait 25 enfants. Des vacances avec une originalité pédagogique : les jeunes, qui pour certains ont vécu des mauvaises expériences ou subi des violences lors de séjours « classiques », ont dessiné leur emploi du temps de A à Z.
Par M.V. - publié le 28 octobre 2023 pour le Progrès, édition du Jura. Amendé pour le blog.
Temps de lecture : 5 minutes.
Quelque part dans le Jura
Il est 11 heures passées, ce jeudi 26 octobre. Les enfants, en pyjama ou en claquettes, musardent : tournoi de jeux vidéo sur la console, dessins, jeux de stratégie. En cuisine, certains préparent des tourtes aux champignons et de la compote de pommes : aujourd’hui, c’est service continu jusqu’au soir. Ils sont en colo, alors pourquoi ne vont-ils pas randonner, jouer les Tarzan au parc aventure, ou profiter du centre aquatique de Champagnole ? Parce qu’ici, les 25 enfants, âgés de 8 à 17 ans, décident collégialement de leurs activités, règlent les différends en assemblée et « se couchent à l’heure qu’ils veulent », explique Raphaëlle Leuyer, directrice du séjour. « C’est vraiment s’adapter aux envies des jeunes. Ils ont tous des besoins différents. »
En 2020, Thibaut Wojtkowski et Mélina Raveleau fondent l’association “Toustes en Colo”, après avoir officié plusieurs années pour un opérateur de colonies de vacances. Leurs valeurs avec la boîte ne coïncidaient plus. Ils sont rejoints par plusieurs animateurs – et collègues de l’époque – qui partagent la même vision.
« Dans d'autres colos,
t'es obligé de faire toutes les activités »
« Ici, y’a pas le carcan de l’entreprise. Avant, je me faisais engueuler par les parents alors que j’avais de très bons retours par les jeunes », raconte Jonas Chassefeyre-Lopez, qui a essayé d’imposer sa façon de faire pendant quatre ans. Parce qu’en colo « classique », c’est réveil même heure, mêmes activités et mêmes veillées pour tout le monde. Certains enfants ne supportent pas ce rythme : « Dans les autres colos, t’es obligé de faire toutes les activités même si elles ne plaisent pas », regrette Zéphyr, 13 ans, talentueux dessinateur, qui dit vivre sa « meilleure colo ».
Une colo pour toutes et tous, comme son nom l’indique. Plus grave, certains enfants ont subi des violences physiques ou affectives lors de précédents séjours : « J’ai entendu des récits crades », signale Thibaut Wojtkowski. Elmo, 13 ans, a mal vécu une colo où « les enfants étaient méprisants envers la communauté LGBT et les autistes. Et je suis dans les deux cas… ». Zéphyr abonde : « Ici, c’est très inclusif. Tu peux être LGBT, avoir des maladies mentales et tout le monde s’en fout. »
“Toustes en Colo”, qui organise ses séjours exclusivement dans le Jura, promeut la mixité sociale : « On a de tout : des enfants de l’ASE (aide sociale à l’enfance), certains pour qui le séjour est pris en charge par la CAF, même des enfants dont les parents sont très aisés », détaille Raphaëlle Leuyer.
Chaque soir, après le goûter, les enfants se réunissent lors d’une assemblée, présidée par un animateur. Un temps démocratique où ils choisissent ensemble les activités du lendemain et résolvent les soucis du quotidien. À l’ordre du jour, les toilettes sales, l’affaire des Chocapic dans la douche, ou encore, la mise au ban des personnages trop forts dans le jeu vidéo Mario Smash Bros. « Ok, y’en a qui sont très forts, mais c’est pas notre faute si on arrive bien à les jouer ! », défend Awa.
Héloïse, l’animatrice, clôt la demi-heure de discussion avec la « meilleure nouvelle » de la journée : vendredi après-midi, c’est ménage pour tout le monde ! Cette fois, les enfants n’ont pas leur mot à dire. Pourtant, hasard ou non, personne ne soupire, plusieurs enfants se portent même joyeusement volontaires pour l’organiser.
« Pourquoi des animateurs sont-ils payés 24€ par jour chez certains organismes plus que connus ? »
Quatre questions à Mélina Raveleau, cofondatrice de l’association « Toustes en Colo »
Cet été, Sarah El Haïry (ancienne secrétaire d’État chargé
de la Jeunesse) a annoncé que le salaire minimum du contrat
d’engagement éducatif serait doublé au 1er janvier 2024.
Les animateurs seront alors payés 50 euros brut la journée.
Qu’en pensez-vous ?
« Ça fait quand même des années que le sujet du CEE est discuté. Il y a déjà eu des grèves d’animateurs avant l’été 2022 et en 2021. Ils demandaient une augmentation de 19 %. Pourquoi le gouvernement n’a pas augmenté les salaires plus tôt ? Nous, on est une petite structure. On tire vers le haut, et on paye aujourd’hui les animateurs 50 euros par jour. Pourquoi des animateurs sont-ils payés 24€ par jour chez certains organismes plus que connus ? »
Vous souhaiteriez que les collectivités et le secteur privé ne puissent
plus rémunérer leurs animateurs par le biais de ce contrat
dérogatoire ?
« La question est à débattre. Lorsque l’on n’est pas dans l’éducation populaire, et que l’on est dans le tourisme, pourquoi bénéficie-t-on d’un contrat d’exception, quand il y a des marges réalisées de plus de 10 % ? Quand on aide une entreprise à faire du chiffre d’affaires, on est embauché en tant que salarié d’une entreprise, et on est protégé par le Code du Travail. »
Cette augmentation peut-elle impacter le prix de vos séjours ?
« On est déjà au-dessus de l’augmentation. Nous, ce qui va impacter le prix des colos, c’est le coût de l’énergie, les tarifs de la SNCF, l’inflation alimentaire, et le fait que les ménages subissent eux aussi l’inflation. »
Le gouvernement a aussi annoncé cet été la création du « passe
colo », une aide financière pour que des enfants à la sortie du CM2
puissent partir en colo. Il en existait déjà d’autres, soutenues
par la CAF ou par les villes. Que pensez-vous de cette aide ?
« C’est insuffisant, et pour avoir une aide, c’est activement rendu complexe. Les CAF sont départementalisées et ont des protocoles différents. Pour une structure comme la nôtre, il y a une procédure à répéter cent fois chaque année, avec aucune garantie. Si la CAF du Rhône est plutôt généreuse, celle du Finistère ne répond pas à nos mails, et la CAF des Bouches-du-Rhône, ça dépend de si t’es handicapé ou non, etc.
J’ai passé plus de 200 heures sur les sites de la CAF. C’est un enjeu profondément politique : cela veut dire qu’un Français du Nord-Pas-de-Calais n’a pas les mêmes droits qu’un Français d’Occitanie. »