Cet été, Nos séjours heureux vous emmènent à Evasoleil, une association d'éducation populaire qui opère depuis près de quinze ans dans le pays médocain. 
À Evasoleil, ne demandez pas aux animateurs de prévoir la soirée chamallows, de budgéter les cocktails, de préparer le bivouac, régler les différends, préparer les veillées du soir... laissez plutôt les jeunes agir. Une fois par jour, tous les colons délibèrent en assemblée : la clé de voûte du projet pédagogique de l'association. Un temps fondamental dans la vie de groupe, mais qui cafouille par moments. Nos séjours heureux ont suivi l'assemblée des 16-17 ans, sur cinq jours. ​​​​​​​
Par M.V. Publié le 9 août 2024. Temps de lecture : 8 minutes

Arthur préside la cinquième et dernière assemblée de la semaine. 

Vendays-Montalivet (Gironde)
« L'assemblée a pour objectif de permettre à chacun de s'exprimer et de prendre toutes les décisions concernant la vie du groupe (règles, projets de groupe, budget) [...] Les sujets discutés lors d’une assemblée sont ceux inscrits au préalable à l’ordre du jour. L’ordre du jour peut être alimenté par chaque jeune du groupe. Il est mis en évidence et affiché là où se réunit l’assemblée afin que chacun puisse y avoir accès dans la journée. »
Projet pédagogique d'Évasoleil 14-17 et 16-17 ans, page 49. 

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Jour 1 : entrée en matière


Premier jour de colo, 13 h 30, première assemblée des 16-17 ans. Des chaises en plastique forment une ronde sous la toile verte qui sert d'ombrelle au centre du camp. Les jeunes prennent place. Mathias, tongs, tee-shirt à fleurs et lunettes de soleil, prend la parole. Il a été désigné président de l'assemblée par les animateurs : le jeune Creusois connaît la maison, c'est son second été à Evasoleil. Ordre du jour : budgéter les courses pour un brunch et une soirée cocktail, organiser un Secret story, et pourquoi pas une chasse à l'homme ? Trois ou quatre gars mènent le débat pendant une dizaine de minutes, les autres écoutent, ou ronronnent. Une fille : « Bon, on va à la plage ? ». 


Les 16-17 s'inscrivent sur les listes des activités.


Nos jours heureux : « Bon Mathias, ça allait ? »
Mathias : « Ah non, j'étais stressé, on m'a forcé », plaisante-t-il à moitié
Ses potes, taquins : « Tu nous as sauvés !  



Jour 2 : merci président !


 Même heure qu'hier, soleil de plomb. Les cigales n'ont pas écouté la fable et continuent de chanter. Mathias revient sur scène pour débattre feux d'artifices et chamallows. Et s'affirme, afin de sabrer le brouhaha ambiant : « Excusez-moi, si vous parlez tous en même temps, c'est pas possible ! » En seulement une journée, les débats ont gagné en fluidité, des remarques sont soulevées, sur le manque de temps libre « pour se poser », ou sur la complexité d'organiser un bivouac. Mathias ressort satisfait de l'exercice. 


Nos séjours heureux : « On t'a senti plus à l'aise, non ? »
Mathias : « C'est comme tout, ça vient quand on est habitué. Il faut sortir de sa zone de confort. Sinon on stagne »
Nos séjours heureux : « T'en penses quoi du concept ? » 
Mathias : « C'est extrêmement bien. Très très bon concept qui permet d'échanger, connecter les idées pour recueillir quelque chose de mieux. Ça permet d'avoir une bonne cohésion. »
Quentin : « Merci président ! »
Houda, animatrice : « Et tu vois qui président ? J'ai proposé à Thaïs, je la vois bien...»
Mathias : « Thaïs oui... Quand j'étais chez les 14-17, tu sais que ça fonctionnait avec deux présidents ?
Houda : « Ah bon ? Ça doit être plus compliqué à gérer. »
Mathias : « Ouais, quand t'as deux présidents, t'as tendance à ce que l'un parle plus que l'autre...  


Il n'y a pas que Mathias qui passe son baptême du feu. C'est aussi le cas d'Houda, l'animatrice référente assemblée, pour qui c'est le premier été à Évasoleil. Comme John et Maryem, les deux autres animateurs 16-17. Pas simple pour elle qui n'a aucune expérience, de mettre en place ces réunions quotidiennes. 
Le projet pédagogique de l'association est lourd, et les deux premières assemblées ont été improvisées. Houda peut compter sur Anaïs, la codirectrice de la colo, pour débriefer, et avoir un regard extérieur. 

Anaïs : « Y a un groupe de filles qui n'a pas été écouté. Il faut prendre un jeune référent notes... Et dernier point : Secret story, c'est à risque. Y a des secrets un peu alarmants... à surveiller. »
13 h 30, assemblée quotidienne
13 h 30, assemblée quotidienne
Les jeunes gèrent leur budget
Les jeunes gèrent leur budget
Les 16-17 s'inscrivent aux acitvités
Les 16-17 s'inscrivent aux acitvités
Mathias, président
Mathias, président
John
John
Houda et Mathias
Houda et Mathias
Klervia, présidente
Klervia, présidente
Jour 3 : couac le bivouac 

Revenons dans notre colo heureuse au bord de l'océan. 13 h 30. Remaniement quotidien oblige, Quentin, leader au bagou naturel, se propose de présider de l'assemblée. 15 minutes au cours desquelles davantage de jeunes s'expriment sur le troc patate ou sur la “soirée chic, détail choc”. Puis l'annonce du bivouac : 20 places pour 35 jeunes, seulement. Tout le monde se précipite pour s'inscrire. L'assemblée est levée. 


Quelques minutes plus tard. 


Antoine, codirecteur du séjour« Y a eu une réaction un peu égoïste... Ça va à tout le monde ça, ou y en a qui ont le seum parce qu'ils ne sont pas sur la liste ? Vous avez passé à discuter intelligemment ensemble. C'est dommage d'en arriver à des personnes qui vont avoir le seum parce qu'ils voulaient aller en bivouac. »
Quentin : « Thaïs et Théo ne peuvent pas venir. »
Aymen : « Y avait déjà Merwan, Gabin et Lucas qui ne pouvaient pas venir. En fait ça a juste rajouté deux autres personnes. » 
Quentin : « Eux, ils voulaient venir, mais il y avait aussi d'autres filles qui voulaient venir. En fait, tout le monde voulait venir. »
Antoine : « Ce qui est dommage, c'est de ne pas avoir réfléchi ensemble... »
Quentin : « On nous avait dit : “22 c'est bon.” »
Antoine : « Ouais, je sais, mais on a réglé plein de problèmes d'orga'. Voilà pourquoi je vous avais dit d'être 2 à 4 organisateurs max. Car certains exploitent la faille, se mettent à 8,et organisent leur soirée privée. Après, si ça va à tout le monde... ​​​​​​​
Klervia préside la quatrième assemblée de la semaine

Klervia préside la quatrième assemblée de la semaine. 

Jour 4 : qui a mangé les cheese naan ? 


Au quatrième jour, les ados chillent et les animateurs sont rincés, moralement et physiquement. Pour cette quatrième assemblée, qui se déroule exceptionnellement le soir, personne ne se presse. Alors que le timing est ultra serré, elle commence avec près de vingt minutes de retard. Klervia, 17 ans, préside l'assemblée constituée de 35 citoyens dissipés, qui se parlent les uns sur les autres, ou digressent de l'ordre du jour. « Bah, personne ne m'écoute en fait ! », désespère-t-elle. Elle reprend la main. Courses, propreté sur le camp, les affaires courantes sont expédiées.
Aymen prend la parole, et évoque un incident. Il y a quelques tensions dans le groupe. Avant le bivouac de la veille, des 16-17 ont préparé pendant plusieurs heures des cheese naan. Ils ont finalement été mangés par quelques-uns. « Quand Klervia est revenue, elle a posé son sac de couchage, la barquette était vide... ça a foutu une mauvaise ambiance », sermonne Aymen. Ses amis échangent, et acquiescent. Ils viennent de régler leur premier différend de la semaine. 


Les jeunes quittent l'assemblée. La veillée de ce soir ? Les jeunes ne l'ont pas encore préparée...


 Antoine : « Pour ce soir, vous préparez vos veillées jusqu'à 19 h 30. Vous faites en sorte que tout soit cadré niveau horaires. Et vous re-rentrez dans le groupe. Le fait d'être dans le groupe, c'est ce qui donne la légitimité de poser le cadre. Parce que si vous commencez à avoir une distance, ça fait boule de neige, vous ne pouvez rien dire aux jeunes, et ils ne veulent plus rien entendre. C'est quoi les veillées de ce soir ? »
Houda : « Soirée film. Je n'ai pas la moindre idée de ce qui est censé se passer... »
John : « Ça a l'air d'être full impro. »
Antoine : « Soirée film, c'est comme une soirée mousse : c'est beaucoup de prépa. C'est qui les organisateurs ? Il faut qu'ils comprennent que eux ont rien fait, et que vous, vous voulez bien les aider. »
John : « Je commence à fatiguer. J'ai peur de ne pas finir la semaine prochaine  ​​​​​​​

Arthur préside la cinquième et dernière assemblée. 

Jour 5 : Posca time  

20 minutes de retard. Les ados sont occupés à se peinturlurer la peau aux Posca, ces gros marqueurs multicolores. Et continuent pendant l'assemblée. 27 minutes au cours desquels les jeunes participent et listent les courses pour le barbecue du soir, décontractés. Arthur, un des moteurs du groupe, marqué au feutre d'une grosse main rouge sur le torse, maîtrise sa copie. Mais certains ados quittent la ronde avant même que l'ordre du jour ne soit terminé. 
Houda : « Eh, c'est pas fini ! »
Gabin : « Mais là il ne se passe rien ! »   

L'heure est au bilan. 

Nos observations : Pour Evasoleil, l’assemblée représente un « espace de liberté et de construction, mais également d’engagement pour les enfants. » Peu de colonies de vacances ont mis en place un fonctionnement aussi élaboré, où les jeunes bénéficient d’un budget hebdomadaire et organisent près de la moitié de leur emploi du temps. Lors de l’assemblée, l’animateur doit se retirer afin de laisser la place aux jeunes qui élaborent leur propre espace démocratique. Les ajustements interviennent a posteriori, ce qui peut entraîner des dysfonctionnements lors des réunions. L’autogestion, bien que séduisante sur le papier, se révèle plus complexe dans la pratique. 
Au sein de ce groupe, plusieurs jeunes - souvent des garçons - ont non seulement proposé des idées, mais également contribué à leur mise en œuvre. Au cours des réunions quotidiennes, de nombreux participants ont éprouvé des difficultés à s’exprimer ou ont choisi de ne pas le faire. La parole a parfois peiné à circuler équitablement. 
Par ailleurs, bien que le système de vote puisse être sujet à critique, ni les animateurs ni les jeunes n’ont opté pour son utilisation. Il est essentiel de comprendre qu’à l’école ou dans leur famille, les jeunes n’ont pas l’habitude de participer aux décisions collectives. Toutefois, pour une première expérience, cette initiative peut être considérée comme un succès.

John : « J'ai encore du mal à appliquer le projet »


Au cours de la semaine, on a aussi senti les animateurs sombrer. Il faut comprendre : à cause du départ prématuré d'un des animateurs, ils ne sont plus que trois, au lieu de quatre. Ils n'ont eu qu'une demi-journée de repos en sept jours. Les nuits sont courtes, et ils ne trouvent pas le temps de prendre des pauses. Qui plus est, les directeurs ont vivement déconseillé les animateurs de se retrouver en cinquièmes (apéro organisé lorsque les jeunes dorment, afin de décompresser de la journée, Ndlr). La raison invoquée : ne pas se coucher trop tard. Au détriment de la cohésion qui s'y créé. Des animateurs, des quatre camps, s'en sont plaints.  
Si le groupe des 16-17 vit bien, John, Houda, et Maryem n'ont pas totalement trouvé leur place. Juste avant la dernière assemblée, John se confie.  
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Écouter John

Nos séjours heureux : Tu penses pouvoir te projeter sur la deuxième semaine ? 
John : « Je suis très fatigué, on a eu une semaine très difficile. Je vois que je ne suis vraiment pas bien. Je ne me vois pas rester une semaine de plus... J'ai craqué en réunion hier soir. On en a reparlé avec Anaïs aujourd'hui. Les directeurs nous ont rassurés, et nous ont apporté un gros soutien. Donc ça va aller mieux. On est déjà plus confiant. J'ai besoin de la journée de demain pour me vider la tête. On verra à la fin de la journée de demain dans quel état je serai. » 

C'est quoi que tu trouves dur dans cette colo ? 
« C'est un peu un cocktail compliqué... J'ai un trouble anxieux qui fait pas forcément bon ménage avec ce groupe. L'accumulation de petites merdes sur petites merdes, sur la fin de la semaine... On s'est un peu senti abandonné honnêtement. Et ouais, ça s'est accumulé sans qu'on puisse extérioriser. On a du mal, Houda comme moi, à voir le positif sur les trucs qui marchent quand on est dans cette situation de stress. On en a parlé : on a va prendre des pauses. Et on va tout reprendre durant l'interséjour et la semaine prochaine. »

Tu t'es senti comment au niveau de l'application du projet ? 
« Le projet, je l'adore. En termes d'application, j'ai encore des difficultés avec la position de l'animateur, l'équilibre entre autorité et confiance, et comment est-ce qu'on joue avec ça. On a déjà commencé à en parler avec la direction pour la semaine prochaine. Je trouve que le projet il est incroyable. Je suis hyper fan et c'est pour ça que je suis là. C'est pour ça que je ne suis pas encore parti. Jamais de ma vie, je me mets dans cette situation pour quelque chose qui ne me tient pas à cœur.»

Il est dur à mettre en place ? 
« Avec ce groupe, on a raté un truc collectivement. On a eu du mal à faire respecter le contrat de confiance tout de suite. On arrive à des situations comme ce soir, où on sait pas ce qui va se passer. Y a des trucs qui ressemblent à des préparations de conneries en cours. On va faire nuit blanche pour s'assurer qu'ils ne partent pas, et qu'ils ne se mettent pas en danger. »  

Houda, Antoine, et John, débriefent une assemblée. 

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