« Le pass colo est une espèce de
 vieux marronnier, porté par les gros acteurs du secteur »
Propos recueillis par M.V. le 21 octobre 2023.
Temps de lecture : 5 minutes

Jean-Michel Bocquet, représentant du collectif Camp Colos. Photo DR.  

Jean-Michel Bocquet est éducateur spécialisé de formation, animateur et directeur de séjours de vacances, chargée de cours à l'université Panthéon Sorbonne Paris nord (UP13). Il est également cofondateur du collectif Camp Colos qui réunit une dizaine d'associations, acteurs et militants de l'éducation populaire. 
Pour Nos séjours heureux, il revient sur les annonces gouvernementales de cet été - pass colo, revalorisation du contrat d'engagement éducatif  (CEE) - et la situation économique du secteur, traversé par de fortes divergences politiques. 

Pouvez-vous nous expliquer l'objectif et la position du Collectif camp colos, dont vous êtes le principal représentant ? 

« Le collectif est né au moment où l'un des gouvernements Hollande mettait en place un dispositif appelé Camp colos. Avec une dizaine de chercheurs, on a travaillé sur l’évaluation de ce dispositif. On a été en conflit assez ouvert avec l’administration sur le sujet, car on n'écrivait pas complètement ce qu’ils voulaient. On a édité une série de documents. On a expliqué qu'il n'y avait plus de mixité en colo, et que le modèle économique et pédagogique actuel ne leur permet plus de répondre aux attentes. Désormais, les colos ne sont qu’un ixième marché du loisir et du tourisme. C'est ce qu'on a publié. 
Des gens ont été en désaccord. Il y a toute des petites associations militantes qui nous ont contactées. On a alors créé ce collectif à partir. Avec cette idée que les colos ne sont pas du tourisme. Ce n’est pas un secteur marchand, ni une industrie touristique avec un modèle violent pour les gamins qui y vivent. 
Il n'y a pas de structure juridique, on réseaute en faisant de l’interpellation publique sur des sujets. »


Cet été, le gouvernement a annoncé la mise en place d'un pass coloun dispositif qui devrait permettre à 200 000 enfants de partir en vacances, à partir de l'été 2024. Qu'en pensez-vous ?

« Le pass colo, c’est une espèce de vieux marronnier. Il est plutôt porté par les gros acteurs du secteur des colos. Dans les faits, il y a déjà des aides financières qui permettent à des enfants de partir. Cela démontre quand même que le secteur, malgré son modèle libéralisé et concurrentiel, est en permanence sous perfusion d’argent public. Il faudrait, à un moment, se poser la question de si l’on est libéral ou non. C’est le débat que l’on soulève en permanence.
Le problème de ce pass colo, c’est qu’il ne concerne que des enfants de CM2. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi cela ne concerne que les enfants de 11 ans. On ne sait pas bien pourquoi ce choix a été fait. C’est une mesure qui se veut sociale, mais qui ne sait pas vraiment à quoi elle répond. Ça, c’est le point de vue général. Après, personne dans le secteur des colos ne va se plaindre que l’État aide des enfants à partir. Mais c’est à mettre en lien avec l’augmentation du minimum salarial (Sarah El Haïry, ancienne secrétaire chargée de la jeunesse et du SNU, a annoncé en juillet la revalorisation du contrat d'engagement éducatif à 50€ bruts la journée au 1er janvier 2024, puis au SMIC au 1er janvier 2027, Ndlr.) 
Ces deux annonces, faites à deux semaines d’écart, ne peuvent pas être séparées l’une de l’autre. Évidemment, augmenter le salaire des animateurs, c’est quelque chose de nécessaire. Ce que nous disons, c'est que le pass colo apporte une aide financière au moment où le coût va augmenter. Il va bien falloir amortir l’augmentation du salaire des animateurs. On est intimement convaincu que le pass colo servira juste à payer cela. »​​​​​​​
   

Un séjour de vacances organisé à Montalivet-les-Bains, en Gironde, en août 2024. 

Cela va-t-il créer une distorsion entre les petites associations, qui ont des finances serrées, et les plus grosses entreprises qui, elles, pourront assumer l'augmentation ? 

« Évidemment, pour l’asso de taille moyenne, le coût de cette mesure : plusieurs dizaines de milliers d’euros. Où est-ce qu’on va chercher cet argent ? Dans le collectif, il y a des associations militantes qui existent grâce à des gens qui s’engagent pour défendre des pédagogies : pour les enfants en situation de handicap, avec des maladies chroniques, en situation de précarité, etc.  Pourquoi à ces gens là, on vient leur dire : "votre salaire sera maintenant à 50€ ?". Alors que l’on n’est ni dans du tourisme, ni dans de l’industrie, où l'on fait des marges sur le dos des animateurs. C’est ça qui n’est pas normal. 
Un animateur ou une animatrice qui va à Toustes en colo (association parisienne qui organise des séjours dans le Jura), à la Maison de Courcelles (association basée en Haute-Marne) ou à Évasoleil (association basée en Gironde), il sait pourquoi il va là.  Et on impose donc ça, de manière automatique. De la même manière qu'à certains gros acteurs qui organisent des séjours à l’étranger, qui sont du pur tourisme, de la pure conso'. Et qui n’ont aucune finalité pédagogique, ni sociale. 
 Les gros auraient pu signer des accords d’entreprises, eux-mêmes, sans que le gouvernement ne dise rien du tout. Mais ils ne l’ont jamais fait. On est dans une situation où ils ont imposé une décision économique assez compliquée à tous. »


| « Ce sont les colos où il n'y a pas de plus-value éducative, managées par des gens incompétents, qui sont, elles, en difficulté pour recruter. » ​​​​​​​
Auriez-vous souhaité que seul le secteur privé soit exclu du CEE et rémunère ses animateurs avec un contrat de travail ?  

« Nous, le collectif, disons que dans le secteur des colos, il y a une partie des acteurs qui a complètement basculé sur un volet commercial et touristique. Le tourisme est une industrie née à destination des classes aisées. On n'est plus dans l'objet des colonies de vacances historique, qui était un objet social, sanitaire, pédagogique et éducatif. Quand on va conduire un séjour bateau sur l'île de Rhodes, je ne vois pas où est la plus-value sociale. 
Ces voyages pour mineurs devraient relever de l'industrie touristique. Donc, ne pas relever du secteur de l'animation volontaire, qui s'est structuré sur des régimes dérogatoires. »


Si les entreprises étaient exclues du CEE, elles payeraient ainsi mieux les animateurs. Les petites associations, qui conserveraient un régime dérogatoire, auraient donc plus de difficultés pour recruter ? 

« Non. La crise Covid et ces dernières années montrent que les assos du collectif sont moins soumises aux difficultés de recrutement que les autres. Hormis sur la fin du recrutement, concernant les deux ou trois derniers animateurs manquants. Le reste, ce sont des animateurs qui reviennent, sont connus et engagés. 
Ce sont les colos où il n'y a pas de plus-value éducative, managées par des gens incompétents, qui sont elles, en difficulté pour recruter. »

Un séjour de vacances dans l'Aude, en juillet 2020, organisé par l'association locale Ribambelle. 

Auriez-vous souhaité que les assos obtiennent des garanties
pour compenser la hausse des salaires ? 

« Le collectif réclame depuis longtemps une politique publique forte concernant les colonies de vacances. Elle donne des objectifs extrêmement précis sur des finalités partagées : la question des mixités, l’accueil universel, l’inclusion, etc. Dans notre société, les différents publics ne se rencontrent plus. Les riches partent entre riches, et les pauvres entre pauvres. Créons cette politique, inventons un modèle pédagogique. Mettons de l’argent, qui permettra, d’augmenter le salaire des animateurs.
Faire une politique publique, c’est ça. Ce n'est pas faire un guichet de chéquiers et maintenir le dispositif en l'état. »

L'association Destineo a mis la clé sous la porte en 2023.

Actuellement, comment se portent les petites associations 
d'éducation populaire ?

« C’est très différent en fonction des assos. Majoritairement, les associations du collectif sont peu dépendantes de subventions publiques. 
Cela dépend aussi du modèle socio-économique. Si elles fonctionnent majoritairement avec des bénévoles et quelques saisonniers, ou si elles ont des salariés, la situation est différente. Le Covid a tapé dans les caisses, dans les trésoreries associatives. Les prêts à taux 0 du gouvernement n’ont été qu’un décalage de trésorerie, ce qui fait qu’on a décalé le remboursement. Ça en a fragilisé beaucoup. 
Et puis l’inflation vient retaper dans les trésoreries. Il y a des assos qui vont mettre la clé sous la porte, comme Destineo récemment. Dans le collectif, sans doute pas. Il y a des marges de manœuvre. »


Avez-vous le soutien d'élus, ou des contacts avec des membres du gouvernement ?

« On a été reçu en 2019 par Gabriel Attal (secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse de 2018 à 2020, Ndlr) sur la question du Service national universel (SNU). Depuis, on n'a aucune nouvelle du gouvernement. On n'est ni associé, ni invité à participer aux réunions. Après, le collectif fait son plaidoyer auprès des décideurs publics. »​​​​

You may also like

Back to Top